Le visage de l’Assemblée nationale, jeudi 8 avril 2021 lors de l’examen de la Proposition de Loi visant à affirmer le libre choix de la fin de vie et à assurer un accès universel aux soins palliatifs en France, n’était pas beau à voir. C’était celui l’exaspération provoquée par la mauvaise foi. Le fonctionnement des institutions est tel, à ce stade où en est rendue la Vème République, que quelques députés auront pu sciemment empêcher l’adoption d’un texte par la multiplication des prétextes de prises de parole et non par l’instruction d’une délibération dans le respect de la sincérité de l’engagement de chacun.

Je ne m’étendrai pas ici sur ce fonctionnement à bout de souffle, je m’y emploie par ailleurs.

Je souhaite seulement rendre compte de mon propre vote, sur un sujet d’une grande portée et d’une profonde gravité, relatif au rapport que chacun et, plus encore, la société entretiennent par rapport à la maladie, la souffrance et la mort.

Cette Proposition de Loi consiste à permettre à chacun, dans des circonstances d’atteinte à son intégrité, non seulement de choisir de mourir mais d’obtenir une assistance dans ce choix consistant à faire intervenir un tiers qui, littéralement, « donne la mort. »

Le choix des mots a une importance considérable pour évoquer cette initiative et j’assume ceux que j’utilise, même si ce ne sont pas ceux de la Proposition de Loi elle-même. Une Loi dit toujours plus que ce qu’elle écrit : elle relève d’une intention qui en signe « l’esprit » et qui, en général mais malheureusement de manière trop souvent imparfaite, est précisé dans son exposé des motifs.

En l’occurrence, il s’agit d’aller au-delà de ce que prévoit la Loi dite « Clayes – Leonetti » qui, elle-même, n’empêche pas une certaine façon de « donner la mort. » En effet, la Loi Clayes – Leonetti permet à chacun, dans des circonstances médicalement précises :

• De choisir de mourir : non seulement de ne pas recevoir de traitement médical mais d’être soulagé de toute douleur, y compris d’être « endormi » et ce, jusqu’à la mort,

• D’être accompagné dans ce choix par une équipe professionnelle qui adoptera, à l’exclusion de toute autre, une approche strictement clinique, c’est-à-dire qui ne sera préoccupée que de soulager la douleur, la peur et toute forme d’inconfort, sans souci de ce que ce soulagement peut accélérer dans le processus qui conduit à la mort.

La Proposition de mes collègues Falorni et Touraine consiste à prévoir qu’une personne choisisse une assistance plus radicale, consistant à administrer directement la mort : ne pas attendre qu’elle survienne dans le contexte d’une prise en charge de la douleur et de la peur, mais la provoquer par un acte définitif, précis dans ses modalités et sa temporalité.

C’est contre cette possibilité que j’ai choisi de me prononcer.

Je peux imaginer qu’une personne choisisse de mourir, assume pleinement ce choix et, en quelque sorte, le vive dans la paix. C’est terrible, mais je peux le concevoir.

Mais ce qui me semble certain, c’est que ce choix puisse ne pas être durable. Je pense que personne ne peut affirmer, sans le moindre doute, qu’un tel choix puisse être définitif et paisible. Je pense que toutes les précautions légales qui pourraient être conçues pour le vérifier ne suffiront jamais totalement. Je pense que, parfois, ce sont le découragement, l’impatience, la lassitude qui peuvent dicter un tel choix de mourir sans que ces motifs apparaissent, soient exprimés ou même conscients.

Je pense donc que si l’on autorise légalement l’exécution de ce choix, des vies vont être interrompues par découragement, par désespoir, par renoncement à ce qui fait, de mon point de vue, l’humanité même : son incommensurable portée. Une personne humaine ne peut jamais, jamais être réduite à un moment, une circonstance, une parole, un acte ni même son propre passé. Une personne humaine est toujours plus, infiniment plus. C’est un puits de mystère que personne ne peut prétendre percer.

C’est, du moins, ce que je crois : rien de définitif ne peut jamais être dit de quelqu’un. La possibilité de se grandir, de se faire l’auteur d’une fulgurance, de changer, de surprendre et de se surprendre soi-même, de vivre l’improbable, de vaincre l’impossible, cette possibilité existe toujours.

Je pense que chacun l’a vérifié dans sa vie : de situations de détresse sans issue, il peut surgir une lumière, une richesse que l’on croyait impossibles.

Dès lors, entériner par la Loi la condamnation de cette possibilité, ce n’est pour moi pas souhaitable. Ce serait admettre que, pour permettre à quelques-uns d’accélérer ce que permet la Loi Clayes – Leonetti et « d’en finir » plus vite, même dans la paix et sans l’once d’un regret, on prend le risque de la mort d’une seule ou d’un seul qui, avec tout juste un peu plus de temps de vie, aurait vécu une grâce insoupçonnable à laquelle tout le monde aurait renoncé par avance. On prévoirait, par la Loi, que le renoncement à la vie ne lui laisse plus la moindre chance d’un instant d’émerveillement.

Ce que j’écris là pourra paraître surréaliste à certains qui, en me lisant, auront à l’esprit des situations de détresse d’où a fui toute idée de calme ou de splendeur, des situations dans lesquelles l’invocation de telles notions peut même passer pour indécente.

C’est que j’en ai vécues. Des moments que j’avais crus impensables, qui étaient tout bonnement sortis du champ des possibles, même pas théoriques, sont survenus dans des contextes désespérants où l’on doit supporter l’insupportable : sa propre impuissance, nue, affreusement inutile.

J’ai ces moments à l’esprit sans prétendre, du tout, apprendre quoi que ce soit à qui que ce soit. Face à un sujet d’une telle gravité, je ne prétends qu’à l’expression la plus exacte possible de ce que je crois et à l’écoute la plus humble de ce qu’expriment ceux qui me contredisent.

Je ne craignais ni le débat ni de vérifier que j’étais en minorité, lors de l’examen de cette Proposition de Loi. Je crois en effet par-dessus tout à la confrontation respectueuse des expériences et des convictions. Particulièrement sur des sujets dont personne ne peut prétendre avoir saisi, définitivement, toute la profondeur.

Je regrette donc ce qui s’est passé en séance, jeudi 8 avril dernier. Cela relève d’une déformation du fonctionnement des institutions auquel il est devenu urgent et extrêmement important, de réfléchir collectivement.


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