En réponse aux (très) nombreux messages que j’ai reçus et parce qu’il s’agit d’un Projet de Loi emblématique :

Malgré le phénomène de spamming auquel nous, parlementaires, avons été soumis depuis plusieurs jours, je souhaite apporter une réponse aux interpellations personnalisées, sincères, qui m’ont été adressées.

Je vais voter, ce jour, pour le Projet de Loi du gouvernement de réforme de notre Système de retraites et ce, pour une raison essentiellement qui tient en trois points :

  • Je pense qu’il est nécessaire de « faire rentrer » de l’argent dans notre dispositif de retraites parce que, sans cela, nous allons porter atteinte à la crédibilité de la France sur les marchés financiers internationaux et il s’ensuivrait une dégradation immédiate du poids de notre dette dans le budget de l’État ;
  • Je pense également que cette nécessaire mesure budgétaire ne doit pas porter atteinte à la rentabilité des capitaux sur notre territoire, ni porter atteinte à la compétitivité « coût » des entreprises en alourdissant les charges sur le travail ;
  • Je pense encore qu’il est nécessaire de revaloriser les « petites » pensions de retraite et qu’il ne doit pas être porté atteinte au niveau général des pensions : il ne reste donc plus, comme levier d’action, que le nombre d’années de cotisations.

Je vais également voter pour ce projet parce qu’il comporte, au-delà de cette « mesure d’âge » qui demeure le pilier de l’ensemble du texte, de nombreuses mesures qui corrigent de nombreuses inégalités et injustices du système actuel, complexe et largement illisible. Mais je vais concentrer mon propos sur cette mesure d’âge pour ne pas écrire un texte trop long et pour répondre, en toute sincérité, à la principale objection à ce Projet.

L’enjeu de l’équilibre financier de la « Sécu »

Notre « modèle social » représente la plus grosse partie des dépenses publiques. Les retraites et la santé consomment l’essentiel des recettes publiques. Or, ces recettes sont adossées sur le travail. On parle de « cotisations » et pas d’impôts : les salariés et les entreprises « cotisent » pour financer notre modèle social.

Or, ces recettes ne couvrent pas les dépenses et ce, depuis des décennies.

S’agissant des retraites plus particulièrement, l’équilibre financier entre l’argent qui rentre et l’argent qui sort dépend notamment d’un paramètre absolument décisif : le chômage. Lorsque le chômage est important, non seulement on manque d’actifs pour cotiser mais, en plus, le coût des allocations augmente : le chômage est à lui seul un facteur qui réduit les recettes et augmente les charges, d’où un déséquilibre qui est devenu un enjeu budgétaire incontournable dans les années 80 et 90.

Dans ce contexte, le premier « coup de canif » dans le principe d’un système social financé par des cotisations et non par des impôts a consisté, en 1990, à créer le premier impôt dédié au comblement du « trou de la Sécu » : la CSG, créée par le gouvernement de Michel Rocard (gouvernement de gauche).

Cinq ans plus tard, le deuxième « coup de canif » dans ce principe a consisté à créer un second impôt pour compléter les recettes publiques de financement de la Sébu : la CRDS, créée par le gouvernement d’Alain Juppé, de droite, en 1995. A cette date, ce gouvernement a également créé la Cades (Caisse d’amortissement de la dette sociale) qui était censée avoir une durée de vie s’arrêtant en 2009. En 1995, le « trou de la sécu » était de 110 Milliards de Francs, soit 17 Milliards d’euro.

Mais la situation, sur le front du chômage, ne s’est améliorée que très partiellement et très passagèrement fin des années 90 ; dans les années 2000, la santé économique de notre pays n’a pas permis d’améliorer l’équilibre financier de notre système social et la crise financière de 2008 lui a porté un coup extrêmement rude.

Face à l’aggravation de notre dette (à la fois sociale et publique, c’est-à-dire le cumul des déséquilibres financiers du budget de l’État et de celui de la Sécurité sociale), le vote par les deux Assemblées, de droite comme de gauche, des transferts de dettes depuis la Sécu vers l’État a représenté des montants toujours plus importants.

En 2011, la même année, il a ainsi été transféré 62 puis 68 Milliards de dette dans le budget de l’État. Et, en 2010, la première « grande » réforme de notre régime de retraites (passage de 60 à 62 ans) a été adoptée par un gouvernement de droite (projet porté par Éric Woerth). Quatre ans plus tard, la seconde « grande » réforme a consisté à passer de 41 à 43 annuités, sous un gouvernement de gauche (projet porté par Marisol Touraine).

Ces réformes ont été essentiellement motivées, j’en suis convaincu, par l’aggravation du déséquilibre financier de notre modèle social qu’a provoqué la crise de 2008.

Et, en 2017 :

  • Le total cumulé des transferts de dettes votés par les deux Assemblées, successivement par des majorités de gauche et de droite, représentait 209 Milliards d’euro,
  • Le total cumulé depuis 1990 des recettes fiscales venant abonder les recettes de cotisations sociales représentait 270 Milliards d’euro.

En résumé : la création de deux impôts en complément des cotisations sociales, sur près de 20 ans, conjuguée à une augmentation « globale » de quatre années de cotisations supplémentaires (passage de 60 à 62 ans, passage de 41 à 43 annuités – même si, à rigoureusement parler, on ne doit pas additionner un report de l’âge légal et le nombre d’annuités nécessaire au taux plein), n’ont pas suffi à retrouver un équilibre financier de notre modèle social et ont contraint l’État à emprunter, tous les ans, des dizaines voire des centaines de Milliards d’euro sur le court, moyen et long terme.

Que s’est-il passé depuis 2017 ?

A cette date, en 2017, le « trou de la sécu » était de 105 Milliard d’euro. Il était pensable de le « boucher » en 7 ans, mais « toutes choses égales par ailleurs » : avec un taux de chômage plutôt orienté à la baisse et, surtout, des taux d’intérêts très avantageux sur les marchés financiers internationaux.

Et en 2020, la crise sanitaire a ruiné ce schéma d’amortissement. En deux ans, la dette publique a été aggravée de plusieurs centaines de milliards d’euro pour venir en aide aux entreprises et aux salariés. Pire : au sortir de la crise sanitaire, dès 2021, les taux d’intérêt se sont mis à remonter.

C’est pourquoi, en 2022, il est devenu de nouveau indispensable :

  • De programmer une augmentation des recettes,
  • De veiller à la crédibilité de la France sur les marchés financiers pour ne pas aggraver la dégradation des taux d’intérêts.

Il est important de souligner que, pour les créditeurs internationaux auprès de qui nous empruntons entre 200 et 400 milliards d’euro chaque année pour « rouler » la dette (rembourser des annuités en empruntant dans des conditions plus intéressantes que celles appliquées à l’emprunt précédent ; en jouant sur des conditions de marchés variables et différentes selon que l’on emprunte à court, moyen ou long terme…), la différence entre « cotisations » et « impôts », de même que la différence entre le déséquilibre budgétaire de la Sécu et celui de l’État, sont des subtilités « bien de chez nous » : ils n’en ont que faire. Nous empruntons de l’argent pour combler des déficits publics, et c’est tout. Nous l’empruntons auprès des mêmes créditeurs sur les mêmes marchés. Qu’il s’agisse de combler un déficit de la Sécurité sociale ou de l’État, cela ne regarde que nous.

Pour finir, j’ajouterais que si le Projet de Loi n’est pas adopté, l’effet sera immédiat sur la « notation » de la France sur les marchés financiers : le poids de la dette dans le budget de l’État en sera immédiatement affecté pour le budget 2024.

Au-delà de ces considérations « techniques »

Je souhaite apporter des compléments, sachant que je passe sous silence énormément d’enjeux et d’arguments, de contre-arguments, que je ne prends pas le temps de relever.

  1. Je regrette la façon dont ce projet a été présenté puis défendu. J’ai toujours affirmé qu’il n’était pas en lui-même, dans son fondement, un projet « de justice sociale » : il en contient énormément de dispositions, mais sur la base d’une contrainte qui n’est pas « juste » en soi (celle de cotiser deux ans de plus).
  2. J’entends parfaitement les arguments qui portent sur les choix alternatifs, s’agissant de « faire rentrer » de l’argent : plus forte taxation du capital, augmentation des cotisations des entreprises, taxation des richesses (des dividendes, plus particulièrement). Je n’y souscris pas car, dans notre Système monétaire international actuel dont nous dépendons pour financer nos déséquilibres budgétaires, je pense que de tels choix nous exposeraient au risque d’une dégradation de l’attractivité de la France, d’une dégradation de la rentabilité des capitaux et des investissements sur notre territoire et, in fine, d’un revers dans l’évolution du chômage et du taux d’activité. Mais ce sont des débats passionnants, légitimes, décisifs, et nous avons trop peu pris le temps de nous écouter, de nous contredire et, surtout, de nous respecter dans ces différentes approches.
  3. J’ai beaucoup écrit sur ces questions monétaires et financières internationales (cf. mon blog). Ce sont des questions techniques rarement abordées, encore moins discutées, alors qu’elles sont absolument déterminantes. Je ne défends absolument pas le Système international actuel, de financiarisation de l’économie, qui est violent en lui-même et génère une aggravation des inégalités. Je suis simplement convaincu qu’il s’agit là d’un combat qui ne peut pas être mené à une autre échelle qu’internationale. Si la France tentait de le mener toute seule, elle en pâtirait de façon dévastatrice sans parvenir à convaincre des alliés et des partenaires qu’il serait pourtant indispensable de fédérer.

C’est respectueusement que je tente, par cet article, de répondre à toutes les personnes qui m’ont interpellé sur ce sujet. J’ai conscience d’être trop bref, pas suffisamment complet, dans cette explication de mon vote : j’ai choisi de ne pas être trop long et de me concentrer sur ce que je crois être l’essentiel. Mais je sais que les échanges, les contradictions, les développements argumentés mériteraient d’être bien plus longs et approfondis.

Je ne peux que déplorer les conditions dans lesquelles, à l’Assemblée, nous n’avons pas su prendre le temps de nous écouter sans nous juger avant même de parler, pour rendre compte de ce qui nous motive et confronter nos approches dans le respect des personnes, sans les confondre avec les idées qu’elles défendent.

Je suis profondément respectueux de la contradiction et de la délibération des assemblées représentatives. Je suis farouchement convaincu que nous devons voter et vérifier quelle majorité se dégage. J’assumerai tant mon propre vote que celui de toute l’Assemblée, auquel je me plierai et que je respecterai sans états d’âme ni réserve, quel qu’il soit.


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