Depuis le 21 octobre 2020, le milieu de la recherche publique est secoué par une décision de justice qui en ébranle le statut. La titularisation de cinq chargés de recherche du CNRS au titre de l’année 2019, dans le domaine de la sociologie et des sciences du droit, a en effet été annulée suite au recours en justice d’un candidat écarté par le jury d’admissibilité. 

Le 20 novembre 2020, tous les membres de l’Assemblée nationale ont reçu un courrier signé par 1762 chercheurs, solidaires des cinq dont ils réclamaient le rétablissement de la titularisation par voie législative. 

Le 20 janvier 2021, la Proposition de Loi de validation législative de cette titularisation que j’avais déposée avec les signatures de 91 de mes collègues, relevant de tous les groupes parlementaires, a été enregistrée par les services de l’Assemblée nationale. 

Mais sous la cinquième République, l’équilibre des pouvoirs est tel qu’une initiative parlementaire, même de cette ampleur, ne s’impose pas dans le calendrier législatif, essentiellement tributaire du gouvernement. Or, la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Mme Frédérique Vidal, ne soutient pas cette Proposition de Loi à laquelle elle semble préférer la voie juridictionnelle, pourtant plus incertaine et déstabilisante pour les chercheurs : le CNRS a fait appel. 

Pour moi qui suis un député de la majorité, soucieux de loyalement soutenir le gouvernement sans renoncer au contrôle de son action comme le prévoit la Constitution, ce choix de Mme La Ministre est incompréhensible. 

En effet, parmi les facteurs de la crise sans précédent que nous traversons, celui de l’atteinte portée à la crédibilité de la parole publique est l’un des plus aggravants. 

Depuis plusieurs années, le statut de la connaissance vacille et est progressivement ravalé à celui de l’opinion. La notion de « recherche » est dévalorisée par le recours aux moteurs du même nom, sur des écrans qui donnent l’illusion d’une connexion avec la réalité du monde. Les processus d’élaboration de certitudes dessinent des communautés qui menacent de se placer dans un dialogue de sourds et que l’action publique peine à fédérer. Le registre de la preuve cède devant celui de l’émotion, les recours à l’objectivation devant les démarches d’adhésion. 

Dans ce contexte, les agents de l’État dont la mission est l’élaboration de la connaissance par la recherche, la transmission des savoirs qui forment à l’accès et à l’utilisation de la connaissance comme objet impersonnel relevant du bien commun, sont des acteurs infiniment précieux de la vitalité de notre démocratie. Ce sont les protecteurs des principes de méthode qui font des vérités publiques les outils de la délibération et de la décision politiques, à l’heure où menacent le retour des vérités révélées que seuls quelques-uns auraient le privilège de détenir, autant que les ersatz de raisonnement logique qui prospèrent sur l’ignorance et le défaut de rigueur. 

Notre Proposition de Loi va bien au-delà d’une réparation du préjudice causé à cinq personnes : elle consiste à protéger la réputation et la sécurité juridique d’un statut qui, dans le contexte de la crise qui nous traversons, ne peut souffrir de fragilisation sans incidence sur les fondements mêmes de l’autorité publique. 

La portée politique que le Parlement peut donner au traitement de cet enjeu n’a pas d’équivalent. Dans le contexte que nous connaissons, c’est particulièrement opportun. Pourtant, Mme La Ministre lui préfère la voie d’un bras-de-fer avec la justice administrative à l’issue incertaine par nature, comme s’il ne s’agissait que d’un accident de parcours sans impact sur les acteurs non directement concernés. 

Qu’une initiative parlementaire portée par 92 députés ne s’impose pas dans le calendrier sans appui au niveau du gouvernement, cela pose un problème démocratique dont Mme Vidal ne tient pas compte mais c’est une question institutionnelle : je m’incline, même si je le déplore. En revanche, que la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation oppose une forme d’indifférence au soutien du Parlement à la mission confiée à la recherche publique pour en conjurer sans réserve la moindre déstabilisation, c’est pour moi incompréhensible et je ne peux m’y résoudre sans m’en indigner. 

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