Le CETA a légitimement été l’objet, dans les jours qui ont précédé son examen au Parlement, d’une large couverture media.

Avant d’en prendre connaissance de façon approfondie, je penchais en faveur d’un vote contre, essentiellement en raison d’un motif que je jugeais plus grave que les autres : un motif juridique, portant sur les différends qui peuvent opposer un peuple souverain à une entreprise privée.

Après examen de l’accord lui-même et, surtout, de son contexte, j’ai choisi de voter pour sa ratification.

Je tiens, d’ailleurs, à saluer le travail remarquable fourni par mon collègue Jacques Maire, qui a conduit une mission sur le sujet, de façon particulièrement approfondie. Je me suis beaucoup référé, avant de prendre ma décision, au rapport qu’il a rédigé et aux documents auxquels il m’a donné accès.

Compte tenu de l’importance de l’enjeu et de son écho, j’expose ci-dessous les motifs de ma décision.

Ils tiennent en quelques points :

  • Le contexte : celui d’une quasi guerre commerciale que traduisent des politiques unilatérales agressives ;

  • La question sanitaire : celle des fameuses farines animales et des normes appliquées à la production agricole ;

  • La question environnementale : celle de la liberté d’agir contre le réchauffement climatique malgré l’extension de la sphère marchande internationale ;

  • La question juridique : celle de savoir comment trancher entre un État souverain et une entreprise privée multinationale.

  •  

 
Le CETA, un accord qui s’inscrit dans le contexte d’une agonie du multilatéralisme

 

Du Gatt au cycle de Doha : il faut sauver le soldat « multilatéralisme »

Au vingtième siècle, le multilatéralisme a repris des couleurs au lendemain de la seconde guerre mondiale.

Les guerres, la crise de 1929 avaient mis en pièces jusqu’au système monétaire international.

Lors des accords de Bretton Woods, ont donc été créées les quatre institutions mondiales qui ont présidé à « la mondialisation » du vingtième siècle : l’Onu, le FMI, la Banque mondiale et le Gatt.

À la fin du cycle de l’Uruguay, en 1994, les accords de Marrakech ont abouti à transformer le Gatt en OMC : une instance élargie où il ne serait plus seulement question de baisse de tarifs douaniers sur les biens mais aussi d’agriculture, de services, selon des dispositions adoptées dans le cadre multilatéral de sommets mondiaux.

Mais ce nouvel outil de concertation internationale n’est pas vraiment parvenu à faire ses preuves : après l’échec de Seattle en 1999, un accord à Doha en 2001 a permis de lancer un nouveau cycle de négociations qui a, pourtant, débuté sur un deuxième échec, à Cancùn en 2003. Le cycle de Doha, censément d’une durée trois ans, se prolonge encore aujourd’hui : il est à l’agonie, particulièrement depuis la crise de 2008.

Or, dans un contexte de crise, l’histoire montre que le réflexe est le recours à l’unilatéralisme : dénonciation d’accords ou de traités, relèvement de tarifs douaniers… mesures plus ou moins agressives adoptées sans crier « gare ! ».

Nous vivons dans un tel contexte, plus particulièrement depuis l’élection de Donald Trump, compte tenu du poids des États-Unis dans le concert des nations.

Dans ce contexte, je considère que la relance du multilatéralisme est une priorité : j’y reviens ci-dessous.

Or, le CETA s’inscrit dans la poursuite de cet objectif.

Le Canada est très exposé aux coups de boutoir des États-Unis : ils représentent 63% de son commerce international et 75% de ses exportations.

Par ailleurs, alors que l’Union européenne était parmi les meilleurs élèves de l’OMC, elle souffre de l’agonie du cycle de Doha, seul à même de protéger ce que sont déjà, pour les États membres de l’Union, les échanges extérieurs.

L’Organe de Règlement des Différends (ORD), instance prévue dans le cadre de l’OMC pour en faire respecter les accords, est aujourd’hui empêché par les Etats-Unis qui en bloquent le renouvellement des juges.

Nous avons tout à perdre, dans ce contexte. Les échanges extérieurs dont dépend largement la prospérité du vieux continent représentaient 3900 milliards d’euro en 2018, soit plus que les échanges extérieurs de la Chine.

Le CETA permet à l’Union européenne d’innover en matière d’accords internationaux (c’est l’un de mes derniers points) en protégeant des échanges qui ont représenté, en 2018, plus de 10 milliards d’euro d’excédent pour les biens et près de 20 milliards pour les biens et les services, dont un demi-milliard pour la France.

 

Diplomatie vs. Guerre, multilatéralisme vs. Unilatéralisme

En fait, ce dont il est question, c’est de valeurs et de priorités politiques.

L’échec de Seattle a essentiellement été dû aux questions agricoles, de même que celui de Cancùn. A Seattle, on a vu apparaître des mouvements contestataires « anti-mondialistes » parmi lesquels se sont même distingués quelques activistes du type « black blocs. » L’émergence politique de l’opposition au développement du commerce international ne date pas de ce sommet, mais il en marque une étape clé de ces dernières décennies.

Même si j’en condamne la violence, je conçois très bien ce qui motive cette opposition qui prend, du reste, de nombreux visages : syndicaux, politiques, associatifs, ou simplement contestataires à l’occasion de manifestations ou d’événements médiatiques.

Je ne défends pas le Système monétaire international actuel, datant de 1976, qui est la boîte noire de la crise de 2008 et l’infrastructure de la violence économique et de la financiarisation des économies.

Mais je ne crois ni à la pertinence d’initiatives qui ne seraient prises que par la France, ni à l’activisme militant lorsqu’il débouche sur la violence ou, avant d’en arriver là, lorsqu’il n’a d’expression que radicalisée : sans nuances et sans ouverture au dialogue.

Je crois au travail de conviction, aux alliances stratégiques et à la force de l’interdépendance. C’est d’ailleurs sur ces bases qu’a été entamée, au lendemain de la seconde guerre mondiale, la construction de ce qu’est devenue l’Union européenne, dont je suis partisan.

Au fond, ce dont il est question, c’est une notion particulièrement clivante, dès que l’on aborde des enjeux internationaux : la notion de compromis.

A mes yeux, le sens du compromis est une valeur ; la détestation du compromis n’en est pas une.

Il n’y a pas de démocratie sans dialogue, acceptation des différences, respect de la contradiction et, finalement, compromis. C’est dans la confrontation des approches, des intérêts défendus et représentés, des objectifs poursuivis qu’il peut y avoir une issue pacifique et durable à des situations conflictuelles qui, autrement, ne peuvent que conduire à des rapports de force et finalement des états de guerre, larvée ou déclarée, armée ou économique.

Par ailleurs, je pense, à l’instar de l’adage bien connu, que l’on a « toujours tort d’avoir raison tout seul » : raison trop tôt, raison sans convaincre ni fédérer, raison contre tout le monde. Je crois à l’inverse en la force de la démonstration, au pouvoir de conviction, à la force d’entraînement qui reposent sur la capacité à écouter, faire preuve de pondération et d’adaptation.

Ce sont un peu, pour moi, les valeurs de la diplomatie contre les préceptes de la guerre. Il peut arriver, bien sûr, qu’elle soit in fine jugée inévitable et, en quelque sorte, préférable : je pense à l’action héroïque d’un Churchill contre son propre camp conservateur, à l’aube de la seconde guerre mondiale.

Mais nous n’en sommes pas là. Le contexte est celui d’une quasi guerre économique, pas celui d’un affrontement armé qui menacerait nos libertés fondamentales et notre souveraineté.

C’est dans ce contexte que je me suis saisi de la question de savoir si j’allais voter pour, ou contre, la ratification du CETA.

 

La question sanitaire : les acides aminés ne sont ni « végétaux » ni « animaux »

L’un des principaux motifs invoqués pour ne pas ratifier le CETA est celui des enjeux sanitaires et, plus particulièrement, du recours aux très fameuses farines animales. La réglementation portant sur ce recours est, de fait, différente au Canada de celle qui est appliquée au sein de l’Union européenne.

Avant d’examiner cette question qui est assez technique, on peut s’interroger sur un point qui mérite réflexion : les canadiens et leurs gouvernements seraient-ils à ce point moins prudents que nous, à propos des enjeux sanitaires ? Prendraient-ils tellement plus de risques que nous pour la santé ? D’ailleurs, déplorent-ils un bien plus grand nombre de crises sanitaires, voire de morts ? A première vue, les réponses à toutes ces questions sont les mêmes : non.

Mais l’enjeu mérite plus qu’une approche « à première vue » : voyons donc de quoi il s’agit, au juste.

 

Pour mémoire : la crise de la « vache folle » et la maladie de Creutzfeldt-Jakob

Fin des années 80 et début des années 90, une épidémie frappa le cheptel bovin britannique : plusieurs centaines de milliers d’animaux furent atteints d’une maladie proche de celle, connue, de « la tremblante du mouton », appelée Encéphalopathie spongiforme bovine (ESB).

Or, début des années 90, cette épizootie fut accompagnée de l’apparition de nombreux cas, suspects, de maladie de Creutzfeldt-Jakob dans la population britannique : des malades atteints anormalement jeunes, et notamment parmi les éleveurs.

Lorsqu’il fut avéré que la transmission de l’ESB à l’homme par ingestion de viande bovine était possible voire probable, la crise dite « de la vache folle » fut déclenchée. C’est à ce moment que l’opinion publique fut informée d’une pratique répandue dans l’élevage, aujourd’hui encore très décriée : celle de la production et de l’utilisation, pour l’alimentation du bétail, de « farines animales. »

Les ingrédients de cette crise sanitaire sont donc les suivants :

  • L’utilisation de produits carnés pour produire de la nourriture pour bétail : les « farines animales » (et ce que l’on appelle, depuis la crise, les « PAT » : les protéines animales transformées) ;

  • L’épidémie de l’ESB, qui a tué plusieurs centaines de milliers de bovins essentiellement (voire quasi exclusivement, les autres cas étant très rares ailleurs) au Royaume-Uni ;

  • La forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob déclenchée par un agent infectieux présent dans certaines farines animales et possiblement transmissible à l’homme par l’ingestion de viande incriminée : le prion.

Il en a résulté, au sein de l’Union européenne dès le début des années 2000, l’interdiction des farines animales dans l’alimentation pour bétail.

 

Les farines animales et la question de la nutrition animale : ce que sont les protéines…

Le seul fait que des aliments préparés à partir de carcasses d’animaux aient pu être donnés à consommer à des ruminants a inspiré une sainte horreur à toutes et tous ceux qui découvraient, du même coup, que c’était seulement possible.

Il y a là, en effet, quelque chose qui ressemble fort à une pratique d’apprenti-sorcier : forcément dangereuse puisque contre-nature et, de surcroît, scandaleuse d’un point de vue éthique. Donner des farines animales à un ruminant, cela ne revient-il pas à faire manger de la viande à un herbivore ? De plus, lorsque ces farines sont produites à partir de carcasses bovines, cela ne revient-il pas à du cannibalisme ?

En réalité, les choses sont un peu plus complexes…

Pour se nourrir, un animal a besoin d’accéder à de la matière organique qu’il ne sait pas entièrement fabriquer par lui-même à partir de matière minérale (à l’inverse des plantes qui, elles, grâce à la photosynthèse, en sont capables).

Cette matière organique nécessaire à la production d’énergie pour le corps et à la fabrication même des cellules et des tissus corporels relève de trois grandes catégories de molécules : les molécules lipidiques (les « graisses »), les molécules glucidiques (les « sucres ») et les molécules protéiques (les protéines).

Penchons-nous sur la troisième catégorie, celle des protéines.

Les protéines sont des assemblages de petites chaînes d’atomes appelées acides aminés. Un acide aminé est un atome de carbone auquel est rattaché un ensemble constitué de deux atomes d’oxygène, un atome d’hydrogène et un atome de carbone que l’on appelle une « fonction carboxylique », un autre ensemble composé d’un atome d’azote et de deux atomes d’hydrogène que l’on appelle « fonction amine », un atome d’hydrogène, et une chaîne appelée « R », elle-même composée essentiellement d’atomes de carbone et d’hydrogène.

Il faut en effet savoir que l’atome de carbone est une pièce de Lego absolument extraordinaire pour produire de la matière vivante : il peut être lié à quatre autres atomes (on dit qu’il a quatre « liaisons covalentes »). Ce que l’on appelle la matière organique, c’est un assemblage moléculaire dont le « squelette » est une chaîne d’atomes de carbone, auxquels sont rattachés des atomes d’hydrogène, d’azote et d’oxygène, essentiellement.

Des acides aminés, il en existe des centaines ; mais dans le règne animal, seulement 22 d’entre eux sont présents et suffisent à fabriquer les milliards de protéines présentes dans un corps animal de grande taille. Parmi ces 22 acides aminés, seulement 8 d’entre eux ne peuvent pas être fabriqués à partir de petites chaînes d’atomes et doivent être ingérés tels quels pour être utilisés dans le corps : on les appelle « acides aminés essentiels ».

Or, à cette échelle (celle des atomes et des molécules de petite taille), les notions de « végétal » et « animal » n’ont tout simplement plus de sens. Ces notions renvoient à une bien plus grande échelle : celle des cellules (dont les parois notamment diffèrent entre règne animal et végétal) et, plus encore, celle des organismes vivants dans leur rapport à leur environnement et leur façon de se nourrir.

Donc, lorsque les chercheurs en biologie moléculaire et en nutrition animale ont imaginé comment maîtriser et améliorer les apports nutritionnels, ils ont tout bonnement réfléchi à la façon de fournir des lipides, des glucides et des protides sans se demander si ces molécules étaient obtenues à partir de matière vivante végétale ou animale. Ce n’était pas le sujet.

Parler de « cannibalisme » et même de « viande donnée à manger à des herbivores », à cette échelle d’observation et d’analyse, cela n’a donc pas vraiment de sens. En réalité, le problème des farines animales n’est pas là.

Il réside dans l’apparition d’un agent pathogène littéralement extraordinaire, voire fascinant : le prion.

 

Les maladies neurodégénératives et les prions

Les prions sont des protéines : ce ne sont pas êtres vivants comme le sont les bactéries ou les virus. Et pourtant… les prions « malsains » (on va voir qu’il en existe des variantes « saines ») sont capables d’une prouesse généralement caractéristique du monde du vivant : ils sont capables, en quelque sorte, de se reproduire ou, plus exactement, de se répliquer.

Un prion est donc une protéine : une chaîne d’acides aminés. Dans l’espace, une protéine est une chaîne qui se replie sur elle-même, s’entortille en quelque sorte, jusqu’à former une sorte de bloc compact qui est stable. Physiquement parlant, cette forme stable est celle qui a le niveau d’énergie le plus faible : une protéine prend naturellement la forme la plus stable exactement comme une bille roule jusqu’au point le plus bas du plan où elle est posée, ou comme l’eau d’une rivière coule dans le sens d’une déclivité.

Un prion « sain », qui ne pose aucun problème de santé, est composé de nombreuses chaînes que l’on appelle « hélices alpha » : des formes en quelque sorte « enroulées » sur elles-mêmes. Or, sous certaines conditions qui sont mal connues et font l’objet de recherches depuis des années, cette protéine peut changer de forme et transformer ses « hélices alpha » en « feuillets beta » : une toute autre conformation dans l’espace des chaînes d’acides aminés qui, au lieu de s’enrouler sur elles-mêmes, composent en quelques sorte des « plages » alignées les unes à côtés des autres.

Cette forme du prion, que l’on appelle PrPsc (le prion « sain » est appelé PrPc), pose alors un grave problème dans l’organisme : elle est hydrophobe (c’est-à-dire qu’elle « n’aime pas l’eau » : elle n’est pas soluble), particulièrement robuste (aucune enzyme connue ne peut la briser) et, en plus, elle a tendance à s’agréger jusqu’à donner d’immenses structures (à l’échelle moléculaire, s’entend…) qui empêchent les cellules de fonctionner et finissent par les détruire.

Le mystérieux phénomène de réplication dont le PrPsc est capable consiste en une sorte de conversion, par contact, des PrPc : lorsqu’un prion « malsain » entre en contact avec un prion « sain », ce dernier est « changé » en prion « malsain » et s’agrège au premier.

Ce sont ces agrégats de PrPsc qui détruisent le tissu cérébral et provoquent l’une des trois formes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Mais d’où viennent, alors, les prions ?

Il faut admettre qu’à l’heure actuelle, on ne sait pas. Plusieurs hypothèses sont à l’étude.

Selon la première, les prions serraient apparus lors de la modification, au Royaume-Uni, des processus de production des farines animales. Cette modification a consisté, dans les années 80, en une baisse de la température de stérilisation des produits carnés et la suppression d’une étape dite « d’extraction des graisses par solvants. »

Selon la seconde, mais elle est tenue pour moins probable, les prions seraient apparus par contamination des bovins par la tremblante du mouton.

Une autre hypothèse porte sur une mutation génétique dans le cheptel.

En tout état de cause, ce que l’on sait aujourd’hui, c’est ce qui suit :

  • L’épizootie de l’ESB a été particulièrement centrée sur le Royaume-Uni ;

  • Elle est aujourd’hui maîtrisée (il apparaît encore quelques centaines de cas par an au Royaume-Uni, mais on est très, très loin des centaines de milliers de cas des années 90) ;

  • La maladie de Creutzfeldt-Jakob associée aux prions et à l’ESB a causé quelque deux cents morts dont 27 en France. C’est dramatique pour les victimes, mais on est très loin des centaines de milliers voire des millions de morts redoutés au plus fort de la crise, fin des années 90. Et c’est beaucoup moins que les morts causés par un autre risque, bien mieux admis et pourtant le plus dangereux des risques sanitaires : le risque bactériologique, qui relève principalement de mesures d’hygiène ;

  • Les prions apparaissent dans les tissus qui relèvent du système nerveux.

 

Et le CETA, dans tout cela ?

Au Canada, certaines des farines animales qui sont toutes interdites en Europe sont autorisées : on parle en général de « PAT » pour Protéines animales transformées, obtenues à partir d’animaux sains et à l’exclusion des tissus dont on sait qu’ils se sont trouvés à l’origine de la crise : les tissus nerveux, les yeux, les os.

Dans ce domaine comme dans tous les domaines où la décision publique est étayée par la connaissance scientifique, le principe de précaution ne consiste pas à ne rien faire et à tout interdire tant que subsiste le moindre doute : il consiste à ne pas s’interdire d’agir ni à s’empêcher d’interdire, lorsque manquent les preuves et en l’absence de certitudes.

En l’occurrence, le risque sanitaire que représente la consommation par les bovins de « PAT » n’est absolument pas avéré. Par ailleurs, le sentiment d’épouvante qu’a légitimement inspiré la crise de la vache folle ne doit pas dicter la décision publique. Rien ne dit, à ce jour, que les consommateurs canadiens sont en danger ou qu’ils prennent des risques inconsidérés avec leur santé. Et, personnellement, je n’ai pas de doutes sur le fait que le CETA ne fait courir aucun danger aux consommateurs français.

 

La question environnementale : pas vraiment d’avancée… mais pas d’aggravation

Le fait est que, en matière d’environnement et de lutte contre le réchauffement climatique, le CETA ne prévoit rien de contraignant. Mais, contrairement à ce qui été dit et répété, il n’aggrave en rien la situation actuelle, sauf à considérer que les échanges commerciaux sont en eux-mêmes une aggravation. J’y reviens ci-dessous.

Le CETA mentionne en effet explicitement une reconnaissance du droit des États :

  • A adopter des réglementations politiques en matière d’environnement et de travail ;

  • À rechercher des niveaux élevés de protection (de ces enjeux) ;

  • A renoncer à toute réduction de ces niveaux pour stimuler le commerce et / ou l’investissement.

Le CETA se subordonne donc lui-même, en quelque sorte, à la question environnementale. C’est un accord commercial dont la nature et les objectifs ne prévalent pas sur les dispositions que peuvent prendre les autorités publiques en matière d’environnement.

Il ne pourra donc en aucun cas être invoqué pour bloquer, minimiser, contester de telles dispositions, même si elles portent préjudice au commerce et à l’investissement.

Ce que l’on peut donc reprocher au CETA, c’est de faciliter des échanges transatlantiques qui, en eux-mêmes, sont générateurs de gaz à effet de serre et sont donc contraires à l’objectif de lutte contre le réchauffement climatique. De ce point de vue, toute forme d’extension des échanges de grande distance est à proscrire et le maximum de productions doivent être « relocalisées. »

C’est un argument que je respecte mais que je ne partage pas.

La lutte contre le réchauffement a d’autant plus de portée qu’elle est entreprise à grande échelle. Une nation, seule, ne peut pas avoir d’incidence significative : la prise de conscience et l’engagement doivent avoir lieu au niveau le plus élevé possible de décision, idéalement dans un cadre multilatéral. Ce qui a été le cas de l’Accord de Paris.

Dans ce contexte, je crois que nous ne devons pas renoncer à nouer des relations autour d’enjeux commerciaux. D’une part, il serait illusoire de prétendre à une sorte d’autosuffisance généralisée ; d’autre part, ce sont précisément ces rapprochements qui permettent de multiplier les occasions de se concerter, de partager des ambitions et des objectifs communs, de convaincre. De ce point de vue, le CETA est même assez exemplaire : c’est un accord en quelque sorte « vivant » qui va évoluer à la faveur des multiples instances et échéances qu’il prévoit, de concertation et de décision commune.

 

 

La question juridique : un accord singulièrement innovant qui tourne la page de l’arbitrage

Enfin, reste la question du droit.

A titre personnel, c’est autour de cette question que je me suis le plus interrogé et que je suis resté le plus longtemps sceptique. C’est en prenant une connaissance approfondie de cet enjeu et de la façon dont il était abordé par le CETA, quelques jours seulement avant l’examen en séance et avant le vote, que j’ai basculé d’un « plutôt non » vers un « oui ».

Le CETA introduit en effet une nouveauté en matière de droit international : il prévoit la création d’un tribunal des investissements, qui se substitue à l’arbitrage ayant prévalu, jusque là, en matière d’accords internationaux.

La question est principalement celle de l’investissement.

Elle est apparue, sur la scène médiatique, dans les années 90 autour de l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI, le mal nommé…). Elle s’est prolongée avec le TAFTA puis le TIPP (partenariat transatlantique de commerce et investissement, finalement abandonné en 2016). Pendant toutes ces années, la façon de régler un litige entre un investisseur privé (une multinationale) et un Etat consistait à créer une procédure d’arbitrage ad hoc, pour chaque litige, chacune des deux parties choisissant, pour chaque litige, ses arbitres.

On mettait donc sur un pied d’égalité un Etat souverain et une entreprise privée. Il était en quelque sorte considéré que c’étaient deux parties égales en droit, chacune disposant des mêmes prérogatives pour se défendre et négocier, en choisissant chacune ses représentants, une issue au litige pouvant déboucher sur le paiement d’indemnités voire sur l’annulation de décisions prises par une autorité publique…

Ce schéma était inacceptable et indéfendable. C’est ce qui, jusque tard, motivait ma décision de ne pas voter pour la ratification du CETA.

Mais l’introduction d’un Tribunal des investissements (sur la base du principe de l’ICS : l’Investment Court System) change tout.

  • L’arbitrage prévoyait le choix de représentants éventuellement différents à l’occasion de chaque litige : le tribunal des investissements est créé dès le début pour être permanent ;

  • L’arbitrage prévoyait le choix de représentants par chacune des deux parties et, notamment, par l’entreprise faisant valoir un préjudice : le tribunal des investissements prévoit la désignation de juges nommés par les autorités publiques, qui seront donc imposés aux entreprises y ayant recours ;

  • Les juges désignés seront des spécialistes en droit public international : pas des avocats spécialisés en droit des affaires.

Ce nouveau système est fait pour décourager les recours abusifs (comme le « treaty shopping ») et pour garantir le droit des Etats à conduire des politiques d’intérêt général. La page ouverte avec l’AMI est tournée.

En définitive, c’est précisément cette innovation juridique qui m’a convaincu de voter pour la ratification. Elle a valeur d’exemple et a vocation à inspirer de prochaines négociations internationales multilatérales, sous l’égide de l’Onu, destinées à relancer le multilatéralisme voire à transformer l’OMC.

Avec le CETA, le commerce international entre dans une nouvelle ère : celle de la prévalence des États souverains sur les enjeux commerciaux et financiers des entreprises, quelle que soit leur taille et leur pouvoir d’influence. Pendant des décennies, c’est l’inverse qui menaçait les souverainetés nationales : la subordination de la volonté des peuples au développement du commerce et des investissements. Cette logique a prévalu, elle abdique. Ne serait-ce que pour cette raison, et malgré les imperfections de cet accord dont on peut légitimement craindre l’impact, en termes de compétitivité, sur certaines filières agricoles, j’ai jugé que je devais voter pour la ratification.


0 commentaire

Laisser un commentaire

Emplacement de l’avatar

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.