Pourquoi j’ai voté pour l’adoption de la définition de l’IHRA 

Le 3 décembre dernier, à l’Assemblée nationale, a été débattu le projet de résolution consistant à adopter la définition de l’antisémitisme de l’IHRA. 

J’ai voté pour ce projet de résolution. Mais, s’agissant d’un sujet clivant pouvant prêter à des interprétations très différentes, je juge bon de rendre compte de mon vote. 

Les prises de parole dans l’hémicycle l’ont explicitement montré : il y avait deux principaux motifs de voter contre ce projet. 

Le premier, c’était de ne pas porter atteinte à la liberté d’expression. Établir un lien entre antisionisme et antisémitisme, c’est courir le risque d’incriminer l’expression de critiques de l’État d’Israël pour son action, pour la conduite de sa politique. 

Le second, c’était de ne pas hiérarchiser les différentes formes de discrimination. Se pencher de façon spécifique sur l’antisémitisme, c’est courir le risque de lui donner plus d’importance que celle accordée à, par exemple, l’islamophobie. 

Les termes eux-mêmes témoignent de la complexité de ces questions. On ne parle pas « d’anti-islamisme », ni de « judaïsmophobie »… le terme d’antisionisme n’a, d’ailleurs, pas vraiment d’équivalent : en général, on ne donne pas de nom à l’hostilité à l’égard d’un État et, quand c’est le cas (par exemple, on peut entendre parler « d’anti-américanisme »), cela n’a pas du tout la même portée (l’anti-américanisme sera spontanément interprété comme une hostilité à l’égard, par exemple, d’une forme d’impérialisme : pas comme une forme de racisme visant les américains). 

C’est, du reste, un premier point sur lequel je souhaite m’attarder. 

La notion d’antisionisme peut en effet renvoyer à deux choses qu’il me semble très important de distinguer. 

La manifestation d’une hostilité à l’égard de l’État d’Israël en tant que, par exemple, ne respectant pas des résolutions de l’Onu, peut être qualifiée d’antisioniste. 

Mais la manifestation d’une hostilité à l’égard de l’existence même de cet État, en tant que néfaste en soi, peut aussi être qualifiée d’antisioniste, alors qu’il ne s’agit pas du tout de la même chose. 

Je vais donc rendre compte de ce qu’a été ma propre réflexion et de ce qui m’a conduit à voter pour ce projet de résolution, à partir de ces deux principaux motifs de voter contre. 

De mon point de vue, la liberté d’expression n’est pas l’autorisation de déclarer n’importe quoi à propos de qui ou de quoi que ce soit. En d’autres termes, la liberté d’expression n’est pas absolue : elle est à elle-même sa propre limite. En effet, pour que la liberté d’expression soit garantie, son exercice même ne doit pas consister à lui porter atteinte… dit encore autrement, j’ai le droit de penser et d’exprimer mon opinion, mais si mon opinion consiste à contester votre droit d’exprimer la vôtre, vous avez le droit de vous en plaindre.  

En droit, la liberté d’expression, l’une de nos libertés constitutionnelles fondamentales, est d’ailleurs limitée par des notions juridiques qui peuvent être invoquées pour contester une expression : la diffamation, l’atteinte à la vie privée, l’incitation à la haine, l’apologie de crimes de guerre, la violation du secret (professionnel, de l’instruction…)… 

Dans la pratique, le respect du droit en matière de diffusion, de publication ou de communication, consiste essentiellement à être rigoureux. On pourra juger que ce souci de rigueur est une forme de prudence ou d’autocensure : je juge pour ma part que c’est strictement affaire d’exactitude et de précision. 

Et, à propos d’antisionisme, ce terme renvoyant à deux opinions très différentes, ce souci de rigueur doit simplement conduire à être précis dans son expression, pour ne pas prêter à confusion et faire passer, même involontairement, une chose pour une autre.

On peut être farouchement critique envers le Likoud, comme on peut se revendiquer de droite ou de gauche ; on peut vivement reprocher à l’État d’Israël sa politique en matière de colonisation, d’urbanisme, de politique étrangère ; mais on ne peut pas nier que l’État d’Israël a tout simplement le droit d’exister et promouvoir l’idée qu’il devrait disparaître. On peut déplorer que l’action de l’État d’Israël soulève des enjeux géopolitiques graves, on peut penser que les conflits liés à sa sécurité sont inévitables ou délibérés, mais on ne peut pas chercher à répandre l’idée que sa création était une erreur voire une faute. 

Il est donc nécessaire d’être suffisamment précis quand on s’exprime : de quoi veut-on convaincre ? Quelle idée veut-on promouvoir ? Qu’une autre politique est possible, qu’une résolution du conflit israélo-palestinien passe par un changement de politique, notamment israélienne ? Ou bien qu’aucune solution n’est possible parce que le problème n’est pas la politique conduite, mais l’existence même de l’État d’Israël ? Qu’il n’aurait jamais fallu le créer et que sa création même est source de conflits sans issue possible, quelle que soit la coalition portée au pouvoir ? 

Cela me conduit à examiner le second des principaux motifs de voter contre le projet de résolution qui est tout l’objet de cet article : celui de la singularité de l’antisémitisme, voire de la hiérarchisation des formes de discrimination. 

Il n’est en effet pas plus grave, ou moins grave, d’inciter à la haine des musulmans, des juifs, des homosexuels ou de tout autre groupe que l’on appelle souvent « minorité. » Il n’y a pas de violence plus ou moins inacceptable.

Mais penchons-nous sur le groupe que concerne la notion, non pas d’antisionisme, mais d’antisémitisme : les juifs. C’est précisément parce qu’il s’agit d’une identité complexe, qui ne se satisfait pas des distinctions de langage auxquelles nous sommes habitués, qu’il est opportun d’en singulariser l’approche. 

En effet, la notion de « juif » renvoie à plusieurs catégories que nous avons appris à séparer, dans le but de mieux savoir ce dont on parle. Qu’est-ce qu’être juif ? C’est une question à laquelle je ne prétendrais pas répondre, tant elle est profonde et complexe. On peut naître juif, mais on peut aussi le devenir. On peut être juif sans être croyant, mais le judaïsme est une religion. Selon le contexte, on opposera « juif » à « arabe » ou bien à « musulman » ou à « chrétien » ; pourtant il ne s’agit ni d’une citoyenneté, ni d’une ethnie, ni d’une religion, ni d’une communauté parlant la même langue. On peut parler hébreu sans être juif, et on peut être juif sans parler hébreu. 

La notion de « juif » renvoie à beaucoup d’autres notions que, dans la culture occidentale, grecque ou gréco-latine pourrait-on presque dire, nous avons appris à séparer. Or, dans l’Histoire, les juifs ont fait l’objet d’une persécution pour ainsi dire chronique et ce, partout où ils ont été présents en grand nombre et durablement. Cette identité qui est si difficile à définir, est en effet parfaitement claire pour celles et ceux qui la détestent et la rejettent : ils n’ont guère besoin de bien savoir ce dont ils parlent et se satisfont très bien de la confusion qui peut caractériser leur propre pensée – si on peut parler de « pensée » à propos d’antisémitisme, ce qui n’est pas toujours le cas, loin s’en faut. 

C’est sur ce point que je souhaite finir : la manipulation des esprits par la confusion dans le langage est une caractéristique de la propagande extrémiste. C’est quasiment un savoir-faire : le recours aux termes, la formation des phrases et les raisonnements apparents exploitent l’imprécision, l’approximation et le manque de rigueur pour diffuser insidieusement des idées dont leurs auteurs savent très bien qu’elles seraient inaudibles si elles étaient explicitement formulées. 

De l’examen des deux motifs qu’il y avait de ne pas adopter cette définition de l’antisémitisme, j’ai finalement retenu la même conclusion : la nécessité d’un appel à la rigueur. 

J’ai voté pour ce projet de résolution parce que l’antisémitisme est une singularité, historique et conceptuelle, et parce qu’il fait l’objet d’un usage insidieux du langage qui fait confondre critique et haine, liberté d’expression et tentative de manipulation, sincérité et cynisme. 

En outre, la liberté d’expression est d’autant moins en danger qu’il s’agissait d’une résolution n’ayant aucune dimension contraignante : elle est un appel à la vigilance. Il n’y en a jamais trop, s’agissant de lutter contre la haine et la violence. 


2 commentaires

commentaires · 22 janvier 2020 à 19 h 48 min

Monsieur le député, j’ai lu avec intérêt votre texte;
je me pose les questions suivantes:
Je remarque que depuis la résolution 242 de l’ONU, l’état d’Israël n’a respecté aucune résolution.
Je remarque que depuis 1967 Israël colonise les territoires occupés, demain les territoires seront une peau de chagrin.
Je remarque que depuis 1967 Israël capte l’eau des territoires occupés
qui suis-je ? un anti quoi? je ne voudrais passer pour un je ne sais quoi!
Cordialement

Alexia · 22 janvier 2020 à 20 h 59 min

Antisionisme à bien évidemment un équivalent : anti terrorisme !
Vous faites des lois pour pré valoir l’anti sémitisme mais au sujet de l’anti islamophobie ?! Il a un rejet de l’islam et des musulmans en France, le poids des psychopathes qui tuent au nom de l’Islam pèsent sur notre dos alors qu’on a rien demandé. Notre quotidien est lourd, difficile de vivre en France pourtant nés ici. Mais cette souffrance on en parle pas comme d’habitude les projecteurs sont toujours sur eux, les autres doivent subit en silence…

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