Ou pourquoi j’en ai mal parlé 

Lors d’un récent face-à-face avec Eric Zemmour, portant sur l’agriculture, j’ai affirmé qu’il existait des agriculteurs qui vivaient bien avec un revenu de 350 euro par mois. 

Je l’ai déclaré en précisant que c’étaient des agriculteurs qui, par ailleurs, capitalisaient, qu’ils étaient naturellement très minoritaires parmi ceux qui gagnaient de tels montants et qu’en moyenne, le revenu agricole était inférieur au montant des aides qu’ils touchaient. 

Mais je l’ai bel et bien déclaré. 

J’ai reçu, depuis, de nombreux messages d’indignation. 

Ils sont légitimes. Si certains sont plus agressifs que d’autres, ils traduisent tous une colère que j’ai suscitée. Je ne l’ai pas fait sciemment, mais je ne peux que le reconnaître et, à toutes celles et tous ceux que j’ai choqués avec cette affirmation, je tiens à présenter des excuses. Je n’aurais pas dû parler ainsi de leur revenu. 

Je souhaite, humblement, apporter des précisions. Elles ne justifient pas ce que j’ai provoqué involontairement : elles portent sur ce qu’était, justement, mon intention. 

J’ai pensé, au cours de l’émission, à une personne que je connais, dont le métier est celui d’agriculteur. Cette personne, dans les statistiques du secteur, compte parmi celles qui gagnent 350 euro par mois. Or, c’est une personne qui « vit bien » (même si la formule est, au fond, malheureuse parce qu’elle est imprécise et subjective) : c’est une personne qui ne souffre pas de manquer de ce dont elle a besoin et qui est épanouie dans sa vie rurale et son métier. C’est en effet une personne qui a investi dans l’énergie renouvelable (ses bâtiments sont couverts de panneaux photovoltaïques), la méthanisation, a revu son système agricole de sorte qu’elle économise considérablement en intrants, est propriétaire de son lieu de résidence, en est à un stade de sa vie où les dépenses du foyer ne sont plus ce qu’elles ont été… bref, c’est quelqu’un qui est parvenu à réduire énormément ses charges. 

Par rapport à un locataire en milieu urbain qui règle sa facture énergétique au prix fort, à un stade de sa vie où il doit régler de nombreuses dépenses de foyer (multimedia, transports…), ce sont plusieurs centaines d’euro par mois qui font la différence. 

Mais c’est par là que j’aurais dû commencer : dire un mot de la différence entre la richesse au sens du patrimoine ou de l’investissement, et de le richesse au sens de l’argent liquide ou de la trésorerie. Et seulement rappeler qu’on ne peut pas vraiment comparer le revenu d’un actif qui répartit la richesse qu’il crée (ou gagne) entre son patrimoine, son outil de production et son revenu, avec celui d’un actif qui ne répartit rien du tout, n’accumule pas de richesse et ne dispose que du revenu qu’il touche comme salaire. 

Enfin et, surtout, si cette pensée m’est venue à l’esprit et si j’ai parlé de la sorte, c’est parce qu’Eric Zemmour était en train d’insister sur une image très négative de l’agriculture : son incapacité à dégager un revenu digne pour celles et ceux qui en vivent. 

Il est vrai que l’agriculture est étranglée, depuis le dix-neuvième siècle, par l’amont du machinisme et de l’agrochimie d’une part, et par l’aval de l’agro-industrie et de la Distribution, d’autre part. Il est vrai que ses gains de productivité, fulgurants, ont profité à tout le monde, sauf aux actifs du secteur agricole (ou, plus exactement, en dernier). Il est vrai que, ramené à sa valeur horaire, le travail agricole est, pour un tiers des actifs par génération, rémunéré en-dessous du Smic. Et il est également vrai qu’un actif agricole gagne, en moyenne, un revenu inférieur au montant des aides qu’il perçoit, essentiellement grâce à la Pac. 

Mais à l’occasion d’une émission de grande écoute suivie par beaucoup de téléspectateurs urbains, je n’ai pas voulu laisser noircir le tableau. J’ai voulu dire que ce métier était magnifique et qu’il était parfaitement possible d’en vivre, de s’y épanouir et d’en être heureux. 

C’est un métier qui attire trop peu. Trop d’enfants d’agriculteurs quittent leur propre foyer et abandonnent ce qu’il offre comme métier. Le renouvellement des générations d’actifs en est à un taux inquiétant dans de nombreuses filières. Alors, s’il reste énormément à faire, si la question du revenu agricole est toujours aussi épineuse et non réglée, si un accompagnement et une solidarité de la Nation et même de l’Union européenne sont toujours aussi vitaux, je ne cautionne pas les prises de parole qui, souvent, et de la part même de certains responsables agricoles, versent dans une forme de misérabilisme et peignent tout en noir. 

Tel a été le contexte de cette prise de parole de ma part, face à Eric Zemmour, dont je regrette les indignations légitimes qu’elle a provoquées. Je ne renie pas ce que j’ai pensé et tenté de faire passer, comme idée : « non, tout ne va pas si mal et, oui, vous pouvez choisir ce métier. » Mais je n’aurais pas dû m’exprimer comme je l’ai fait. 


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